lundi 5 mars 2018

Pour changer l'Église...
Ross Douthat aborde le 21e siècle




Rédigé par : Dr Maike Hickson

SOURCE : One Peter Five
Le 5 mars 2018


Ce qui sortira dans quelques semaines est un autre bon livre critiquant le Pape François pour avoir changé l'Église Catholique. Celui-ci vient d'origines encore plus importantes que les précédentes dont nous avons discuté à One Peter Five : Ross Douthat, un chroniqueur au New York Times. Le livre de Douthat, intitulé « To Change the Church: Pope Francis and the Future of Catholicism » [ Pour changer l'Église : le Pape François et l'avenir du Catholicisme ], couvre la majeure partie des cinq dernières années controversées et contient de nombreux aperçus sur les raisons profondes de notre crise actuelle et comment nous y sommes arrivés.

La thèse sous-jacente de Douthat est que l'Église Catholique moderne subit de plus en plus de pressions pour s'adapter aux changements qui se produisent dans la société. Alors que le Pape François pourrait être le Pape qui tente le plus fermement d'adapter les enseignements de l'Église au monde moderne, il y a eu des Papes précédents — ainsi qu'un Concile — qui ont fait de même, mais à des degrés moindres. À la lumière de cette adaptation — qui, aux yeux de Douthat, pourrait bien être le bon chemin — c'est le Pape François qui pousse à un point de rupture les limites de ce qu'un Pape peut changer.

C'est précisément ce point de rupture que Douthat craint, car il portera atteinte à l'autorité même de l'Église, fondée sur l'immuabilité de la Doctrine. En effet, dit-il, si le Pape François peut changer l'enseignement de l'Église sur le Mariage, qui est basé sur l'Écriture elle-même et sur les Paroles de notre Seigneur, qu’est-ce qui va donc tenir ?

Comme le dit Douthat :

Mais la résilience de l'enseignement [concernant le Mariage] de l'Église Catholique, sa continuité frappante du premier au vingtième siècle, est aussi une étude de ce qui rend l’affirmation du Catholicisme à être une autorité unique plausible à beaucoup de gens, même dans un âge désenchanté... Le Cardinal Kasper s'est attaché à la seule réforme que l'Église ne pouvait pas envisager — du moins sans tomber dans l'auto-contradiction et procéder à une auto-démolition concernant sa propre revendication d'autorité. ( pp. 87, 92 )

À la lumière de cette approche fine, mais toujours quelque peu hésitante et quelque peu sociologique et culturelle, il vaut la peine de considérer ce que Douthat a à dire sur la manière dont l'Église pouvait élire quelqu'un d'aussi révolutionnaire que le Pape François. En abordant le rôle des Cardinaux du Groupe de Saint Gall et de leur influence sur le Conclave 2013, considérons ici les propres paroles de Douthat :

C'était caractéristique de la trêve effective de l'Église [ entre Conservateurs et Progressistes ] quand Jean-Paul II lui-même avait donné à la plupart d'entre eux [ les Cardinaux de Saint Gall ] leurs chapeaux rouges, les élevant malgré leur désaccord avec son approche restauratrice. ( page 47 )

Cette seule déclaration vaut la peine d’y réfléchir. Douthat ajoute une autre observation à propos du Conclave : « Certains penseurs dans la presse laïque pourraient parler de la possibilité d'un Pape libéralisateur, mais il s'agissait du Collège des Cardinaux de Jean Paul II et de Benoît XVI » ( p.49 ).

Il est utile de considérer le processus des dernières décennies au sein de l'Église Catholique de sorte que deux Papes « conservateurs » puissent constituer un Collège de Cardinaux ayant voté pour le Pape François. Comme Douthat le montre, en raison du désir d'élire un réformateur énergique et, du fait qu'il n'en existait aucun du côté conservateur, « les restes de Saint-Gall ont trouvé une ouverture » ( page 49 ). Il poursuit cet argument :

À l'approche du Conclave, un certain nombre de Cardinaux ont écouté avec des oreilles attentives des figures comme Murphy-O'Connor et Kasper, qui ont sollicité les électeurs non pas au nom de l'un de leur groupe en décroissance, mais au nom d'un personnage dont les vues théologiques semblaient le rapprocher du milieu d'un Conclave, dont l'austérité personnelle offrait un contraste frappant avec le mode de vie commun à certains initiés du Vatican... et qui dirigeait une Église post-Européenne. ( page 50 )

Comme l'explique Douthat, il y avait aussi beaucoup de terrain d'entente entre Bergoglio et les deux Papes précédents — par exemple, leur désir de « naviguer entre les interprétations Traditionalistes et radicales. Il ajoute :

Comme lui, les deux Papes étaient des hommes de Vatican II, libéraux dans le cadre des débats du Concile, qui ont tenté de freiner les interprétations radicales de ses réformes et de souligner la continuité entre l'Église d’avant et d’après. ( page 57 )

Ça semble avoir aidé Bergoglio, selon cet auteur, qu'il n'était pas connu pour être un franc Progressiste ( il était connu pour « ses guerres avec des Jésuites de gauche » dans son pays ) ou un conservateur explicite. Les membres de Saint Gall eux-mêmes « ont vu des indices de leur propre vision du monde dans l'accent mis par Bergoglio sur la pauvreté et la justice sociale, sa lassitude apparente avec certaines batailles de guerre culturelle et ses instincts décentralisateurs » ( page 60 ). Une petite remarque intéressante de Douthat sur le rôle du Cardinal Burke lors de ce Conclave 2013 : « Mais seuls les électeurs les plus Traditionalistes, l’aile droite du groupe Ratzingerien, semblaient s'inquiéter de son idéologie et de sa théologie ». Burke « un apôtre de la Messe Latine, a apparemment fait quelques efforts pour rallier un front anti-Bergoglien. Mais il était isolé à la droite du Conclave ». ( p 62 )

Un dernier aspect perçant de la discussion de l'élection du Pape François : « Il a fini avec plus de quatre-vingt quinze des cent quinze voix » ( p.63 ). Ainsi, presque tout le Collège des Cardinaux, qui a été mis en place par le Pape Jean-Paul II et Benoît XVI, a voté pour le Pape François. C'est un fait qui mérite d'être réfléchi.

En parlant de la Papauté de François, Douthat fait une observation intéressante sur les médias, les laïcs et les Catholiques. Il décrit leur réaction envers le nouveau Pape, en disant que certains des conservateurs « se sont rassemblés pour une continuité totale entre François et ses prédécesseurs » ce qui semble à Douthat être « un cas de plaidoirie spéciale » ( p.69 ). Les médias laïques semblaient à ce point plus réalistes que les médias Catholiques : « Mais dans l'ensemble, les médias [ laïques ] ne se sont pas trompés en pensant que le nouveau Pontife différait de ses prédécesseurs en termes de substance et de style ». Douthat voit ici un cas rare où des journalistes laïques ont saisi plus pleinement la signification de quelque chose qui se passe à Rome que beaucoup de Catholiques pieux.

Douthat a également les mots justes quand il aborde le discours très controversé de 2014 du Cardinal Walter Kasper au Consistoire, qui a ouvert le débat sur les divorcés « remariés » :

Le Pape a voulu que le discours du Cardinal Allemand soit le premier pas d'une progression dramatique qui allait bientôt devenir le front le plus important et le plus contesté de sa croisade pour changer l'Église. ( page 83 )

Retournons maintenant et regardons le Concile Vatican II et ce que Ross Douthat a à dire sur les racines profondes de pourquoi nous en sommes là où nous en sommes — en incluant le Collège des Cardinaux qui a élu le Pape François ; le groupe de Saint Gall, dont les membres éminents avaient tous reçu le chapeau rouge de Jean-Paul II ( intéressant, beaucoup d'entre eux en 2001 ) ; et quelques ambiguïtés doctrinales persistantes remontant au Concile.

Dans la première partie du livre — plus de 30 pages — Douthat discute des grandes lignes de l'histoire de l'Église depuis le Concile Vatican II et son état général avant l'entrée en fonction du Pape François. Il appelle Vatican II « une réconciliation partielle avec la modernité » ( p.2 ) et montre comment la question de répondre aux changements urgents des temps modernes — y compris la révolution sexuelle — a ébranlé toutes les différentes dénominations Chrétiennes ( comme les Anglicans ), qui se divisent souvent sur les mesures à prendre pour une telle adaptation ( par exemple, si oui ou non il faut bénir les couples s'engageant dans la sodomie ). Une telle approche est utile, car elle place notre lutte actuelle au sein de l'Église dans un contexte plus large, rendant ainsi les comparaisons possibles.

En général, Douthat voit que, dans les temps modernes, « l'Église Catholique est devenue beaucoup plus grande et beaucoup plus faible à peu près au même moment » ( page 6 ). L'auteur explique :

Il y a beaucoup plus de Catholiques que jamais auparavant, mais l'influence de l'Église sur la politique laïque a disparu presque partout depuis les années 1960 et le capitalisme de consommation plutôt que l'Église définit l'agenda culturel et façonne le paysage moral pour plusieurs de ces millions de baptisés. ( page 6 )

Cette déclaration mérite d'être réfléchie. Qu'est-ce que l'Église a fait de mal ? Malgré sa croissance en nombre, elle perdait, plutôt qu’elle gagnait de l'influence ? L'Église avait jadis entrepris de transformer le monde en un monde Chrétien, de transformer les païens en Chrétiens et ainsi d'humaniser l'humanité. C'est ainsi que les grands Saints missionnaires ont vu le jour. Cependant, depuis des décennies, le sel semble avoir perdu de sa saveur. C'est une honte que l'Église n'ait pas su maintenir parmi ses fidèles suffisamment en détachement du monde pour ne pas tomber facilement dans le vide du consumérisme.

Comme l'explique Douthat, alors que les Papes précédents avaient affronté la modernité et l'avaient critiquée :

... dans les années 1960 et 1970, pendant Vatican II et après, les Papes se sont déplacés vers une stratégie d'accommodement et d'adaptation, qui a embrassé certains aspects du consensus libéral moderne et a encouragé ou accepté — pendant un certain temps, au moins — diverses expériences de base qui voyaient à favoriser la réconciliation avec le libéralisme plus loin. ( page 10 )

Qu'est-il arrivé sous Jean-Paul II et Benoît XVI ? Ils « ont réussi à tenir l'Église ensemble, même si de nombreux autres organismes religieux se sont séparés, sans pour autant résoudre les profondes tensions entre ses factions » ( p. 10-11 ).

Douthat explique quelques questions fondamentales liées aux Papes modernes pendant et après Vatican II en disant que, pendant le Concile :

... les Papes étaient très prudents pour construire un consensus écrasant pour les réformes les plus controversées, celles qui se trouvent dans les zones grises entre le semper idem [ toujours le même ] et l’auto-contradiction : les déclarations conciliaires qui ressemblent le plus à des développements dans la Doctrine, la liberté religieuse et le Judaïsme, ont passé avec moins de cent voix dissidentes sur plus de 2 300 voix. ( page 13 )

Tout en discutant davantage du Concile, Douthat montre comment des ambiguïtés ont été délibérément placées dans ses documents — « parce que le Concile avait beaucoup d'auteurs et parce que beaucoup de ces auteurs étaient eux-mêmes incertains de ce qui pouvait être changé » ( p.23 ) — si bien que d’une certaine manière, deux lectures différentes, la libérale de même que la conservatrice, étaient dans un certain sens voulues par Vatican II ». En ce qui concerne le sujet de la liberté religieuse, par exemple, « il semblait y avoir un enseignement clairement révisé, mais même où il n'y avait pas un nouveau langage ainsi qu’une retraite apparente des expressions plus anciennes, de la rhétorique et des formes ». Fait important, l'auteur ajoute : « Et ce changement linguistique a inévitablement suggéré un nouvel enseignement, à ceux qui souhaitaient en avoir un, même s’il s'arrêtait d'en offrir un purement et simplement ».

Plus tard dans son livre, Douthat revient sur le thème du Concile Vatican II. En réfléchissant à la question de savoir comment on pourrait « changer une Église officiellement immuable », il dit :

C'est la réponse suggérée par l'expérience du Concile Vatican II, qui, dans ses ambiguïtés, ne touche pas officiellement à la Doctrine Catholique, mais semble certainement sur le point d'en être très proche. Nulle part cet avancement sur la pointe des pieds ne fut plus tendu que sur la question de la liberté religieuse, où les réformateurs voulaient accepter et bénir les relations entre l'Église et l'État selon le style à l’Américaine, même si l'Église insistait depuis longtemps pour que les gouvernements accordent des privilèges spéciaux au Catholicisme avec une tolérance aux non Catholiques mais sans leur accorder un statut égal. ( page 101 )

Comme Douthat l'explique, Vatican II a essayé d'ajuster certains des « dénonciations retentissantes de la liberté religieuse » à l'esprit des années 1960 — qui ont eu lieu non pas « sans controverse ». La déclaration Dignitatis Humanae est sortie du « parvis du Concile » en 1964 « au milieu des objections des Évêques conservateurs à la substance du texte », retardant ainsi un vote final sur la question ( et peut-être en espérant plus de temps pour travailler sur l'esprit des Évêques qui hésitaient ). Selon Douthat, le Pape Paul VI a montré ici une « sagesse prudentielle » : « Le texte a été maquillé pour inclure plus d'affirmations vocales sur la Tradition [...] il a été débattu et discuté » et finalement voté à la fin de 1965, avec une écrasante majorité ( 2,308 voix contre 70 ).

C'est dans cette description de certaines discussions de Vatican II que le lecteur pourrait voir quelques parallèles avec les deux Synodes sur la Famille qui ont conduit à Amoris Laetitia, spécialement à la lumière des propres paroles de Douthat : « Depuis lors, les Catholiques se disputent sur à quel point le document a changé et si son affirmation avec la continuité de l'enseignement passé est plausible ».

Douthat lui-même établit ensuite un parallèle entre la discussion de Dignitatis Humanae et les efforts de libéralisation du Pape François, en disant qu'un processus Synodal :

... pourrait fournir un mécanisme pour changer les réponses de l'Église à certaines questions puisque si les Évêques étaient perçus comme parlant ensemble, un Pape pourrait s'appuyer sur ce consensus pour éviter une critique de haut niveau — de la même manière, sinon par le même processus, que le vote de 2,308 versus 70 a protégé Dignitatis Humanae de ses critiques. ( page 103 )

Quelques pages plus loin, Douthat lui-même trace un autre parallèle entre Vatican II et la réforme de François en disant que, lors du Synode sur la Famille, il y avait l'idée d'un « œcuménisme de style de vie » ( John Allen ) dans lequel une grande partie de l'Église post-Vatican II avait cherché à reconnaître les vertus des Églises et des dénominations non Catholiques, que l'Église du XXIe siècle reconnaîtrait et célébrerait « les éléments vertueux contenus dans les « seconds mariages, les secondes unions et les cohabitations ». ( p. 108 ).

C'est donc mon propre espoir que, avec son livre, Ross Douthat puisse favoriser une discussion plus ouverte et plus libre entre Catholiques quant à l'histoire récente de l'Église Catholique — bien sûr, à côté d'un rejet clair des méthodes et des enseignements indignes et assez révolutionnaires du Pape François.

Douthat pourrait être particulièrement efficace dans ce domaine, non seulement parce que, en tant que chroniqueur du New York Times, il vient d'échelons supérieurs, mais aussi parce qu'il se présente comme ayant une attitude détachée vis-à-vis toute la question. Douthat est honnête en se décrit lui-même, au tout début du livre, comme quelqu'un qui, après s'être converti avec sa famille à l'adolescence, s'est coincé quelque part entre les différents camps de l'Église. Il dit : « Parfois, je me sentais comme si ma conversion était incomplète, en attente d'une grâce ou d'une transformation supplémentaire » ( page XI ). Il se décrit comme quelqu'un qui pourrait avoir

... appartenu à la catégorie des Catholiques qui étaient communs dans les romans Catholiques et la sociologie Catholique, mais ont été abolis quelque part dans les années 1970 — le bon mauvais Catholique ou le mauvais bon, selon la façon dont vous utilisez les termes. ( page XI )

L'auto-description honnête de Douthat est utile quand on lit le livre parce que, oui, en effet, il lui manque parfois ce zèle et cette plus grande vigueur qui découlent d'une profonde conviction. Comme le disait le Père John Hardon, SJ : « Nous sommes seulement aussi courageux que nous sommes convaincus ». Par conséquent, en lisant le livre de Douthat, on ressent un certain détachement et il manque un sens du surnaturel — c'est-à-dire les thèmes de la Grâce, du sacrifice et des batailles parfois perdues qui constituent le matériau des grands romans Catholiques.

Il est donc à espérer que, par les discussions que son livre va faire remuer, Douthat lui-même pourrait recevoir une étincelle de grâce supplémentaire pour le mettre en feu pour Dieu et la Foi Catholique, toute et entière. Ou, pour spéculer ici un peu, a-t-il déjà reçu une telle étincelle et essaie-t-il de la tenir sous un boisseau ?





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